Lahontan
(1666-1716)
LES RACINES BEARNAISES (1666-1683)
Louis, Armand de Lom d’Arce naît au château de Lahontan, dans la commune du même nom (Pyrénées Atlantiques), l’année 1666. Le nom de Lahontan vient peut-être du béarnais « hont ou hount » qui signifie fontaine. Une source miraculeuse, la fontaine d’Abet, transforma le village en un lieu de pélerinage. L’église Notre-Dame d’Abet est l’église primitive de Lahontan. Au XVIème siècle, le château est propriété de Michel de Montaigne. Lahontan devient une baronnie vers 1650. Issac de Lom d’Arce, le père de Louis-Armand, achête le château en 1662. Il devient ainsi le second baron de Lahontan. Issac s’est marié en 1665 à l’église Saint-Paul de Paris, son épouse se nomme Jeanne Le Fascheux de Couttes.
Le château de Lahontan
Le futur Intendant de la Nouvelle-France (en 1670), Jean Talon, alors Intendant des places conquises en Hainaut, est témoin au contrat de mariage. Le père, né vers 1594, a dépensé des sommes considérables entre 1630 et 1648 pour rendre le Gave de Pau navigable jusqu’à Bayonne (150 000 livres prétend-t-il). Il réclame une rente viagère annuelle de 4000 livres au Conseil d’Etat du Roi mais ce dernier ne lui accorde que 3000 livres pendant 12 ans, à prendre sur les droits de la coutume de Bayonne. En 1658, de plus, il a donné avec sa première épouse, Jeanne Guérin, une somme de 30 000 livres à la ville de Bayonne contre la promesse d’une rente viagère de 10% qu’il ne touchera jamais de son vivant. Cela ne l’empêche pas, alors qu’il est déjà propriétaire de la terre noble d’Esleix en Chalosse, d’acheter la baronnie de Lahontan dont il devient le second baron.
Veuf en 1663, Isaac devient Conseiller au Parlement de Pau et Réformateur du Domaine des Eaux et Forêts. C’est donc un homme occupant une position sociale élevée mais en fait sa situation financière est fort précaire et semble se détériorer sans cesse, l’obligeant à céder à perte à des tiers des créances sur la ville de Bayonne.La mère, vraisemblablement une orpheline pauvre, est née vers 1652 à Chartres. Elle a dû être attirée à Paris par sa grand – tante, Marie Chéron, veuve de Hiérome de Bragelongne, Trésorier de l’Ordinaire des guerres. Avant son mariage, Jeanne vivait chez le seul fils survivant de Hiérome lequel exerçait la même charge que son père. Jeanne portait le titre de la seigneurie de Couttes qui avait été acquise par sa famille mais que cette dernière avait aliénée. Elle aurait apporté à son époux une dot de 13 000 livres mais il semble que cette clause du contrat ait été un artifice juridique pour mettre ce pécule à l’abri des créanciers.Le fils, auquel ses parents donnent une soeur, Marie-Françoise, en 1669, doit certainement souffrir de ce divorce entre apparences et réalité. En apparence, il appartient à une famille reconnue par l’aristocratie béarnaise. Ainsi, à la cérémonie baptismale officielle à l’église Saint-Martin de Pau en 1669, ont été parrain et marraine : Armand de Gramont, comte de Guiche, gouverneur du Béarn par intérim et Marguerite de Béthune, comtesse de Guiche, représentée par Françoise de Gramont, marquise de Lons. En réalité, sa famille est ruinée et financièrement aux abois.Nous n’avons pas d’information sur sa formation qui doit avoir été la formation classique d’un jeune noble de l’époque (Voir Bluche dans les SOURCES en fin de notice). A 17 ans, en tout cas, il estime qu’il n’a aucun avenir en France et préfère tenter la carrière militaire en Amérique. Il s’engage en 1683 comme volontaire dans une compagnie de marine qui part pour la Nouvelle-France.
UNE CARRIERE MILITAIRE HONORABLE EN NOUVELLE-FRANCE (1683-1693)
Sa carrière dans la colonie se déroule sans éclat particulier mais son avancement est normal :
– 1685 on le désigne comme « caporal ».
– 1687 Lieutenant réformé
– 1691 Capitaine réformé.
– 1693 Garde-marine, Lieutenant du Roi à Plaisance de Terre-Neuve pour épauler le Gouverneur Brouillan, ce qui ne plait guère à ce dernier.
Lahontan combat les Anglais et leurs alliés iroquois et dans ce cadre accomplit plusieurs types de missions :
– acheminer des renforts vers les forts Frontenac, Chambly, Roland.
– commander des forts comme le fort Saint-Joseph (actuel Détroit)
– contribuer à la défense de places-fortes ainsi Québec attaqué en 1690 par l’amiral anglais Phips.
(Gravure ci-contre :Source Gallica/BNF)
– accomplir des missions de reconnaissance ex. en 1688-89 une expédition dont l’authenticité est discutée vers la « rivière Longue » (rivière Saint-Pierre ? Minnesota ?) à partir de Michillimakinac.
– effectuer des missions en France :
En 1690 pour porter la nouvelle de la défaite de Phips, occasion dont il aurait profité pour se faire recevoir dans l’Ordre de Notre-Dame du Mont Carmel et de Saint-Lazare.
En 1692 pour porter un projet de défense des Grands Lacs (un ensemble de trois forts reliés par une flottille de bateaux légers qui seraient montés par des marins basques).
Source Gallica/BNF
Au début de cette seconde mission, il doit faire une escale forcée à Plaisance de Terre-Neuve gouvernée depuis1690 par Brouillan. Il y contribue efficacement à la défense de la place menacée par une flotte anglaise.
Cette carrière présente certains traits particuliers :
– Non conformisme : En garnison à Montréal, Lahontan se heurte aux Sulpiciens, seigneurs de l’île, qui n’apprécient pas son style de vie et ses lectures (par exemple Pétrone).
– Difficultés à supporter les contraintes de la vie militaire : Il n’hésite pas à s’absenter pour aller en expédition de chasse ou d’exploration ; il prend parfois des décisions peu orthodoxes. Ainsi, en 1688, se jugeant à court de vivres et de munitions, il fait brûler le fort Saint-Joseph de sa propre autorité.
– Il lui arrive de contester des décisions de ses supérieurs : Ainsi en 1687, il proteste contre le traitement réservé à des prisonniers iroquois, ce qui lui vaut d’être mis aux arrêts.
– Intérêt pour les indiens : Il les accompagne dans leurs expéditions, les observe, converse avec eux par le moyen de « truchements » car son vocabulaire est limité bien qu’il cherche à le développer. Il rencontre des chefs célèbres : l’Iroquois Otreouti en 1684, qui sera le modèle de son futur personnage La Grangula ; le Huron Kondiaronk en 1689 qui inspirera son futur Adario.
Source Gallica/BNF
Un universitaire palois, Christian Desplat, souligne : « En élargissant le champs de la problématique par son audacieuse curiosité, Lahontan a réalisé la première synthèse occidentale sur le monde indien. Il posait en même temps la question de la connaissance ethnographique : le monde exotique comme objet de la connaissance … » Tout en remarquant : « Lahontan soupçonne à peine que les Indiens puissent avoir des schémas culturels qui leur soient propres et à aucun moment il ne s’est interrogé sur les conséquences que pourrait avoir pour les sauvages la rencontre de leur monde avec le nôtre« .-Réputation d’agréable compagnon et de brillant causeur : Des habitants le sollicitent à plusieurs reprises pour être parrain de leurs enfants. Le Gouverneur Frontenac en 1689 et 1690 le nourrit et l’héberge dans sa résidence. Il lui aurait même proposé la main de sa filleule, Geneviève Damours, fille de Mathieu Damours de Chauffours. Sans doute Lahontan recule-t-il devant les liens du mariage.
En 1693, cette carrière est compromise parce que le baron commet la maladresse de s’attaquer à son supérieur hiérarchique, le Gouverneur de Plaisance Brouillan. Il l’accuse de concussion, de s’approprier les émoluments des soldats de la compagnie franche de la marine et d’en faire travailler les hommes sans salaire. Il l’accuse même d’avoir violé son domicile par effraction. De son côté, Brouillan, dans ses propres rapports à Versailles, accuse Lahontan d’insubordination, de manquements aux devoirs de sa charge et de violences sur plusieurs personnes. Le baron aurait pris peur d’être embastillé. En tout cas il déserte. Comme il sait que Brouillan a prévenu contre lui les gouverneurs des principaux ports français, il soudoie pour 1000 écus un capitaine de navire français pour le conduire au Portugal, début d’une longue errance.
Sa situation est donc devenue difficile :
-sur le plan militaire, il est considéré comme déserteur.
-sur le plan financier, il a perdu sa baronnie malgré les efforts de sa mère -veuve depuis 1674-pour défendre ses droits face aux multiples créanciers de son époux. En 1684, elle tente en vain de s’opposer en appel à la saisie sur demande des créanciers du domaine de Lahontan et à sa vente par adjudication. Charles de Casamajour l’achète pour un montant de 21 000 livres et obtient finalement la main-levée sur son nouveau bien en 1690.
DECEPTIONS DU COTE DE LA FRANCE
Sous le coup d’un ordre d’arrestation, Lahontan voyage d’abord à l’étranger (Portugal, pays-bas, Danemark). L’ambassadeur au Danemark, Monsieur de Bonrepaus, le juge ainsi : « Il a de l’esprit, et une vivacité gasconne qui le rend familier avec tous les gens qui l’approchent… Les gens les plus sérieux lui donnent un libre accès dans leurs maisons, et sont ravis de l’avoir « . Ce Monsieur de Bonrepaus lui donne des lettres pour diverses personnes susceptibles de fléchir le Ministre de la Marine, Pontchartrain. En 1694, le baron tente de justifier sa conduite à Versailles mais Pontchartrain refuse de défendre son cas devant Louis XIV qui ne soutient jamais un inférieur contre un supérieur.
En 1695, il séjourne quelques mois en Chalosse et au Béarn mais n’arrive pas à régler ses affaires financières, ne parvenant qu’à obtenir que quelques arriérés de ses fermiers d’Esleix (àpeu près 200 louis) et un cheval qui va lui être bien utile.
Il n’a même pas le temps de visiter un parent qu’il posséde à Pau car, ayant été averti qu’un ordre d’arrestation a été lancé contre lui, il s’enfuit et passe la frontière espagnole
En 1697, il tente encore d’obtenir un commandement au Canada.
En 1698,il se fait recommander en vain par Monsieur de Bonrepaus, devenu ambassadeur aux pays-bas, pour un poste d’espion en Espagne.
En 1699, à Lisbonne, il fait parvenir à la Couronne d’Espagne des documents concernant le Mississipi.
Finalement, en 1700, il perd tout espoir de se justifier et, renonçant aux armes, il se lance dans les belles-lettres.
SUCCES LITTERAIRES
Le succès vient rapidement avec trois ouvrages, les deux premiers imprimés à La Haye fin 1702 mais portant la date d’édition de 1703. Le premier tome « Nouveaux voyages dans l’Amérique Septentrionale » adopte la forme épistolaire. Le second tome, la suite, « Mémoires de l’Amérique Septentrionale » contient une description de la Nouvelle France (faune, flore, vie commerciale et administrative, importance pour l’Europe etc.) qui est suivie d’une étude sur les Indiens, d’un commentaire linguistique et d’un glossaire de la langue algonkine de 360 mots. Ses informations ne sont pas toujours totalement dignes de foi. Par exemple son portrait du Baron de Saint-Castin attribue à ce dernier un trésor, légende qui aura la vie dure dans la littérature romanesque. Ou encore son exposé sur les « Filles du Roi » en fait des filles de moyenne vertu « que les époux choisissent… de la manière que le boucher va choisir les moutons au milieu d’un troupeau », jugement méchant dont les études récentes ont montré la fausseté. Le troisième tome, qui parait en 1704, reprend la forme du récit de voyage. Il contient les fameux « Dialogues avec un Sauvage », et les « Voyages au Portugal et au Danemark
Ces trois ouvrages connaissent un succès étonnant. Le récit complet des voyages de Lahontan va avoir 13 éditions en Français en quatorze ans et des traductions en Hollandais (1), Italien (1), Anglais (5), la première édition anglaise étant réalisée dès 1703 par le baron lui-même. Il faut noter que l’édition française de 1705 a sans doute été revue et augmentée par les soins du bénédictin défroqué et devenu anticlérical Nicolas Gueudeville (1650-1720) qui habitait La Haye depuis 1699. Ce succès s’explique en partie par le fait que les descriptions de Lahontan sont basées sur l’observation personnelle des événements et des usages de la Nouvelle-France. Sans doute a-t-il tenu une sorte de journal dont il s’est inspiré pour la rédaction de ses ouvrages. Ses récits contiennent une mine infinie de détails qui, sauf une certaine exagération quant aux nombres et au voyage à la rivière Longue, sont exacts. Les dons de Lahontan ne se limitent pas à l’observation. Il fait preuve d’une particulière clairvoyance :
– analyse perspicace des pratiques de corruption en Nouvelle-France.
-opinion que l’interdiction d’entrer en Nouvelle-France, renouvelée en1683 par Seignelay ministre de la Marine de Louis XIV, à l’encontre les Protestants prive la colonie de talents utiles.
-sentiment que c’est folie d’essayer d’anéantir les Iroquois.
-jugement que l’Angleterre et la France ont un intérêt commun à développer le commerce en Amérique du Nord qu’il estime promise à un grand avenir.
Le portrait partiellement idéalisé qu’il fait des Amérindiens lui permet de se livrer à une satire de ce qu’il condamne dans la civilisation européenne : l’église chrétienne, l’organisation sociale, les lois monarchiques, la médecine ignorante, le mariage contraignant. Ce portrait contribuera à créer le concept de « bon sauvage » si prisé par les philosophes du XVIIIème siècle. Comme l’a déclaré Michelet, l’oeuvre de Lahontan constitue un véritable résumé des idées du début des Lumières.
NE COMPENSANT PAS UNE TRISTE EXISTENCE D’EXILE
En 1705, Lahontan doit quitter l’Angleterre bien qu’il n’ait pas hésité à transmettre aux autorités de ce pays des informations sur la Nouvelle-France que ces autorités souhaitaient conquérir. Le baron appréciait le climat de liberté : « Je trouve dans mes malheurs la consolation de jouir en Angleterre d’une espèce de liberté dont on ne jouit pas ailleurs ». Il doit reprendre à regret son errance sur le continent. Par ailleurs, Lahontan perd le contact avec sa famille à partir de 1706. Sa mère mène à Paris une vie d’expédients. Elle sous-loue des chambres de la maison qu’elle loue rue Saint-Honoré, notamment à des gens d’épée étrangers pas toujours très recommandables, et elle tient un salon de jeu. En 1712, elle est impliquée avec sa seconde fille, Jeanne-Françoise, dans une affaire de meurtre d’un ecclésiastique, l’abbé Martin, qui aurait été commis par l’un de ses locataires. Elle s’en tirera pourtant et sa fille finira par épouser en 1714 un veuf, Jean Gault, Trésorier de France à Dijon. En 1707, Lahontan finit par échouer à la cour de l’Electeur de Hanovre, Georges -Louis de Brunswick. Il y semble apprécié. Probablement sans fonction officielle, il divertit la cour, anime les conversations, stimule les discussions.
A Hanovre, il côtoie à la fois :
-des personnalités respectées comme le philosophe Gottfried, Wilhem Leibnitz (1646-1716)
-mais aussi des aventuriers comme le soi-disant abbé-comte de Bucquoy, en réalité Jean-Albert d’Archambault qui a usurpé le titre de comte et fut tour à tour militaire, trappiste, maître d’école, espion.
Dès avant 1710, sa santé se détériore. Il meurt le 21 avril 1716, « avant d’avoir pu faire ses Pâques comme il l’avait souhaité ». C’était deux ans après l’avènement de l’Electeur de Hanovre au trône de Grande -Bretagne sous le nom de Georges Ier, un an après la mort de Louis XIV et quelques mois avant la mort de Leibnitz.
CONCLUSION
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Ainsi s’achève, à cinquante ans, la vie de Louis-Armand.
« Jeune sujet de Louis XIV, il avait quitté l’Ancien Monde pour le Nouveau et, comme écrivain du début du siècle des Lumières, il amena le Nouveau Monde à l’Ancien (DBC)
Les jugements sur l’homme ont varié suivant les écrivains, leur pays, leur époque, leur personnalité, allant des plus sévères (Chateaubriand, Groult, leblant, Roy) aux plus laudatifs (Michelet).
Actuellement, les contemporains auraient plutôt tendance à le réhabiliter, en considérant que ses informations sont plus fiables qu’on ne l’a dit, que ses opinions ont été clairvoyantes et que ses idées préfigurent celles des Lumières.
Mais, globalement, on peut estimer que Lahontan n’a pas encore trouvé sa vraie place dans la littérature française. Dans un livre récent sur « La littérature des Lumières » (Goulemont), son nom n’apparaît dans l’index qu’à quatre reprises.
SOURCES
– Bluche, François : La vie quotidienne de la noblesse française au XVIIIème siécle « La vie quotidienne » Hachette-Littérature 1973
– Desplat, Christian: « Les Indiens du Baron de Lahontan » – Revue de Pau 1974
– Goulemot, Jean-Marie: La littérature des Lumières « Lettres Sup » Nathan 2002
– Groult, Lionel Notre grande aventure : l’Empire français en Amérique du Nord (1535-1760) FIDES Montréal 1957
– Haynes, David Article Lahontan dans le Dictionnaire de Biographie Canadienne (DBC) Presses de l’Université Laval 1966
– LeBlant : Histoire de la Nouvelle-France t. I Les sources narratives du début du XVIIIème siècle et le recueil de Gédéon de Catalogne Pradeu Dax 1930
– Michelet, Jules : Histoire de France t. XV La Régence Chamerot et Lauwerens Paris 1863
– Ouellet, Réal Lahontan, oeuvres complètes t. I et II » Bibliothéque du Nouveau Monde » Presses de l’Université de Montréal 1990
– Site Internet du Musée des Civilisations (Gatineau – Canada) : <http://www.civilisations.ca/vmnf/explor/laho_fl.html>
– Roy, Jacqueline : Guide du chercheur en histoire canadienne Presses de l’Université Laval Québec 1986
– Séré, Daniel : Le Baron de Lahontan Généalogie des Pyrénées Atlantiques Nos 64, 65 et 66.
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