Le Conseil Souverain
L’ Acte fondateur de la Nouvelle France,
L’Edit de création du Conseil Souverain, Avril 1663/ Avril 2013
par Marie-Hélène Morot-Sir
Un moment réellement historique, le fondement de l’identité de tout un peuple.
Le 30 avril 1663 l’ Édit de Création du Conseil Souverain a été promulgué par « Sa majesté Très Chrétienne Louis XIV »
Par cette proclamation royale la petite colonie française des bords du Saint Laurent, cesse alors de n’être qu’une simple Seigneurie de la Compagnie des Cent Associés – dite aussi Compagnie de la Nouvelle France- pour se voir doter d’un fonctionnement égal à celui de toutes les autres provinces de France.
Elle devient une partie intégrante de la France. Cet Édit de Création est donc une véritable Constitution, puisque cela fait passer la Nouvelle France*, d’un état de colonie, à celui de Nation française, catholique, régie par les lois civiles françaises. Cela permettra désormais d’encadrer la vie des personnes pour les aider au point de vue juridique et matériel, d’être un Etat avec tout le système juridique approprié, exactement comme un véritable coin de France..
Le peintre Charles Huot a peint un magnifique tableau entre 1927 et 1929, ce tableau représentant le Conseil Souverain, est accroché dans la salle du Conseil législatif du Parlement de Québec.
Le 29 avril 1627 Richelieu avait créé la Compagnie des Cent Associés dont d’ailleurs Samuel de Champlain était membre, pour peupler, soutenir, défendre et aider les habitants qui étaient alors en très petit nombre, si loin de leur mère patrie, et de plus en butte aux Amérindiens hostiles, comme les cinq Nations Odinossonis (Iroquoises)… Dans la charte de cette Compagnie était inscrit qu’elle devrait assumer financièrement la venue de vaisseaux chaque printemps afin d’apporter tous les vivres et tout ce dont auraient besoin les personnes.. Mais également d’amener d’autres candidats au départ de l’autre côté des mers, pour s’assurer du peuplement régulier de la colonie. Toutes ces charges seraient compensées puisque Richelieu lui donnait en contrepartie, le monopole du commerce des fourrures sur toute l’immensité du territoire de la Nouvelle France. Au long des années il sera facile de constater que la Compagnie cherchera davantage à s’enrichir que d’aider les habitants.
En 1628 le cardinal de Richelieu, à la demande de Samuel de Champlain et des trop rares colons partis s’installer sur les bords du Saint Laurent, afin d’encourager d’autres candidats au départ de l’autre côté des mers, fait adopter par le Conseil d’Etat une ordonnance spéciale expliquant : « Les Français qui passeront dans les dits pays, jouissent des mêmes libertés que s’ils étaient demeurés au royaume, eux ou leurs descendants, y compris ceux qui naîtront d’eux et des Sauvages convertis à la foi catholique seront réputés « régnicoles et naturels François, sans être tenus de prendre aucune lettre de déclaration ou de naturalité »..
En 1629 un épisode entravera néanmoins, non seulement la Nouvelle France naissante, mais aussi le fonctionnement de la Compagnie à ses débuts… Les frères Kirk (Kirke), à la solde des Anglais s’emparent en juillet 1629 du petit fort de Québec et des Français qui s’y trouvent, une petite quarantaine à peine, dont Samuel de Champlain, lui-même. Ils sont presque tous emmenés prisonniers à Londres. . Quelques Français échappent à ce sort, étant dans les bois à cette époque-là, et même jusqu’en Huronnie comme Guillaume Couture, où ils resteront prudemment aussi longtemps que Québec sera aux mains des Anglais.. Arrivé en Angleterre, Champlain découvre avec le plus grand étonnement que cette prise de la colonie française est totalement illégale puisque elle a eu lieu deux mois à peine après la signature du Traité de Paix de Suze, le 24 avril 1629 entre Louis XIII roi de France et Charles Ier roi d’Angleterre.
Champlain rentre immédiatement à Paris, il va trouver le Roi demandant qu’on lui rende tout de suite la Nouvelle France, mais les Anglais se feront longuement prier, il faudra attendre un nouveau traité pour que cela puisse avoir lieu, ce sera le traité de Saint Germain en Laye le 29 mars 1632, il redonnera définitivement la colonie à la France, ainsi que l’Acadie et Port Royal.
Cet épisode a eu de graves conséquences sur la Compagnie des Cent Associés. Le vaisseau d’Emery de Caën venait d’arriver en juillet 1629, comme chaque début d’été dans le fleuve Saint Laurent, apportant tous les secours nécessaires, mais il fut immédiatement arraisonné par les frères Kirk, entraînant une très grosse perte financière pour la compagnie qui avait engagé beaucoup d’argent alors que la traite de fourrures n’avait pas encore amené toute la richesse espérée. Cela se compliqua d’ailleurs, puisqu’en 1632 lorsque la Nouvelle France sera rendue aux Français, la compagnie devra à nouveau financer… Au printemps 1632, le cardinal de Richelieu ordonne « que Messieurs les Associés de la Compagnie enverront à Québec un nombre d’hommes, qui seront mis en possession du fort et habitation par le sieur De Caen, qui promet de les y passer ». Dès le 18 avril, le sieur Emery, M. Bochard-Duplessis, et des Jésuites montent à bord à Honfleur, dont le Père Le jeune, et ainsi à leur arrivée, en juillet, Louis Kirk remet les clefs du fort.
Une page se tourne à la mort de Mazarin en 1661 : Le jeune roi Louis XIV arrive au pouvoir. Il va en prendre toute la direction, mais en même temps il va se pencher sur la Nouvelle France que son père a laissé à la Compagnie des Cent Associés. Il va s’apercevoir assez rapidement qu’il est nécessaire de lui apporter de l’aide, d’autant plus que le nouveau Gouverneur Dubois d’Avaugour n’avait pas mis longtemps en prenant son poste à Québec, à constater l’état déplorable dans lequel se trouvait la petite colonie. Il pense aussitôt combien il serait profitable que le nouveau jeune roi soit mis au courant dans les plus brefs délais. C’est ainsi que Pierre Boucher partira en France, le 22 octobre 1661, il se rendra à Versailles auprès du Roi. Ce jeune capitaine devenu gouverneur de Trois Rivières, connaît parfaitement toutes les difficultés dont souffre la colonie, il sait les exposer au Roi…
La réussite de la mission de Pierre Boucher sera très utile, le roi semble en effet prendre très au sérieux le sort de sa lointaine colonie. C’est pourquoi, lorsque Monseigneur de Laval traversera à son tour l’Atlantique pour se rendre à Versailles, sa venue renforcera celle de Pierre Boucher et finira par décider tout à fait le Roi à tenir la promesse qu’il lui avait faite, en envoyant tous les renforts et les soutiens promis. Néanmoins tout cela n’arrivera pas avant 1665 tel le régiment de Carignan Salière pour défendre les habitants contre les partis Odinossonis (iroquois), en les renvoyant au plus profond de leurs forêts. Pour la première fois la Nouvelle France va être réellement soutenue et défendue.
Cependant le roi réfléchissait il avait le désir de venir en aide à la colonie. C’est pourquoi dès le 24 févier 1663 les directeurs de la Compagnie des Cent Associés sont avisés que sa majesté veut reprendre ses droits, et ses propriétés de justice et de seigneuries sur la Nouvelle France. L’acte d’abandon de la colonie par la Compagnie est rédigé devant notaire, et un acte d’acceptation du Roi est également signé. Une grande ordonnance va alors suivre l’acte d’abandon, cela consistera à donner une Constitution à « la Nouvelle France dite vulgairement Canada ». (Vulgairement = communément) Ce texte introduira les lois et les coutumes en vigueur du Parlement de Paris, y compris l’ordonnance de Villers Cotterêts* d’août 1539 signée par François Ier, stipulant que tous les actes législatifs et judiciaires doivent être désormais non plus en latin, mais en « langage maternel François et non autrement » afin d’être accessible au peuple.
Le 30 avril 1663 l’Edit de Création est officiellement promulgué. C’est ainsi qu’en 1663 la Nouvelle France cesse d’être une simple seigneurie de la Compagnie des Cent Associés, pour être régie et devenir province royale, une province française, comme toutes les autres.
Le Conseil Souverain
La Compagnie des Cent Associés n’avait pas tenu tous ses engagements durant ces trente-cinq années où elle avait eu le monopole des fourrures, qui étaient principalement d’établir une colonie de peuplement en Amérique. Louis XIV instaure donc un gouvernement royal sur le modèle de ceux qui gèrent les provinces de France. Ce Conseil souverain va jouer un rôle administratif important en réglementant le commerce et l’ordre public, mais aussi en enregistrant les édits et les ordonnances du Roi, afin de les faire connaître dans la colonie. C’est à partir de la création du Conseil Souverain que sera créé en même temps un poste d’Intendant mais aussi à partir de là que le peuplement va prendre une plus grande extension, on pourrait même dire un nombre d’arrivées, jamais vu jusque-là durant toutes ces années !
C’est une administration avertie pouvant répondre aux besoins particuliers des habitants, Français comme Amérindiens. De nombreux règlements seront élaborés avec les autres administrations de la Nouvelle France et l’on pourra retrouver dans tous ces textes, la vie au jour le jour des habitants et la petite histoire du pays racontée au quotidien.
Le Conseil Souverain sera composé :
*Du Gouverneur de la Nouvelle France. Il sera le représentant direct du Roi de France, responsable de la défense et des relations diplomatiques.
*D’un Intendant, responsable de toutes les affaires civiles, de l’administration de la Justice, du développement du régime seigneurial, des finances et du commerce.
*De l’Evêque pour toutes les affaires religieuses : charité, éducation, hôpital, conversion des Amérindiens ;
* Cinq conseillers servent de cour d’Appel, formant la haute cour de justice ; Ils sont choisis parmi la noblesse française répondant du Secrétariat de la Marine de la France
*Neuf fonctionnaires responsables de tous les sujets législatifs exécutifs et judiciaires.
*Les capitaines de Milice s’occupent du recensement, d’informer les habitants des plans de l’Intendant pour le développement du pays, ils rendent aussi compte devant le Conseil Souverain des soucis et des désirs de la population.
Le Conseil Souverain de la Nouvelle France aura des prérogatives exorbitantes dues au fait de l’éloignement avec la France. Il sera aussi largement adapté aux particularismes locaux. La distance et l’isolement, la lenteur des communications et des échanges ont leurs contraintes ce qui contribue à faire du Conseil Souverain un législateur à part entière dans des centaines de domaines plus spécifiques, de même il statue par voie « d’ordonnances ». Cela devient même une véritable délégation de pouvoirs qui fera « fleurir les lois » pour administrer la Nouvelle France. Le recrutement des Conseillers, se fera parmi les notables, quelquefois des fonctionnaires ou des professionnels commerçants, nommés par lettres patentes renouvelables annuellement. Ils ne furent jamais soumis à aucun contrôle par rapport à leur aptitude, comme cela avait lieu en France, puisque la Nouvelle France était dépourvue de structures universitaires. Cela ne voulait pas dire qu’ils étaient incompétents !
*La Nouvelle France, toute la Nouvelle France sera régie par le Conseil Souverain, puis Conseil Supérieur. C’est à dire bien entendu l’ensemble des territoires français ceux déjà constitués et ceux qui se constitueront par la suite en Amérique du Nord, au fur et à mesure que s’étendra la zone d’influence française, comprenant l’Acadie, le Canada jusqu’aux bords du golfe du Mexique, avec la Louisiane, en passant par le Pays des Illinois et la Vallée de l’Ohio.. Même si pour la Louisiane entre 1712 et 1731 son monopole sera confié à diverses compagnies (Crozat, Law..) afin de soutenir le peuplement…
Quelques dates :
*En 1675, une révision du Conseil Souverain l’assimile aux Parlements du Royaume de France, ses membres sont alors nommés à vie par commission royale.
*Le 10 mars 1685 le Conseil Souverain perd son droit de faire des règlements en l’absence du Gouverneur et de l’Intendant
*Le 16 juin 1703 un changement aura lieu, il y aura désormais douze conseillers et le Conseil Souverain deviendra « le Conseil Supérieur de la Nouvelle France ». Sa dernière réunion aura lieu le 28 avril 1760, le jour même de la bataille de Sainte Foy.
*A partir de 1760 la Nouvelle France passera sous régime d’occupation anglaise.
*L’ordonnance de Villers Cotterêts, est le véritable acte de naissance de la langue française, elle comprenait 192 articles,elle a été signée par François Ier le 15 août 1539, puis enregistrée au Parlement de Paris le 25 août suivant :
Elle impose le Français dans les actes officiels, la langue d’Oïl du Bassin Parisien et du Val de Loire
Elle remplace le Latin par le Français, ce qui permettra pour les actes notariés ou judiciaires d’être enfin accessible au peuple.
C’est une force donnée au Français qui va le faire progresser, ce sera un instrument de centralisation, en gommant peu à peu la pratique des langues régionales.
Sur le plan religieux, cela impose aux prêtres de tenir des registres paroissiaux pour l’État Civil naissance/décès avec des règles d’enregistrement, date et heure, les bébés doivent être déclarés sous le nom de leur père et non plus désormais de leur seul prénom, la démographie s’accentuant on n’arrivait plus à distinguer les individus entre eux !
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